"Contrat de vente"
"Ils nous ont dit de vendre une île pour rembourses
nos dettes. Ils l’ont écrit dans leurs journaux et dans leurs périodiques. Ils
l’ont déclaré à la télévision et dans les parlements. Ils l’ont insinué dans
leurs caricatures.
Cependant ils n’ont pas absolument éclairci la
chose : veulent-ils l’acheter ou que nous la vendions ? Ou la veulent-ils gratis, vu que nous sommes amis et alliés et vu qu’ils font
montre envers nous d’une telle solidarité ?
En tout cas, ils ne nous ont pas dit quelle
commission ils donneraient. Ne nous laissons pas berner, nous sommes des grecs,
paresseux et corrompus, mais pas des imbéciles ! D’ailleurs eux aussi ils
s’y connaissent en matière de commissions, nous n’étions pas tout seuls à
encaisser les commissions de leurs multinationales, ils ont tiré l’argent sale
des coffres-forts gris et ont envoyé les virements (pas à nous bien sûr, mais à
leurs gars à eux, les obligés et les convenables, à ces mêmes qui pointent
maintenant sévèrement le doigt sur nous pour nous dire que tous ensemble nous
avons englouti l’argent et pour nous forcer à accepter les conditions de la
« solidarité » extérieure).
La vérité est que je ne suis pas en situation de
comprendre très exactement la nature de l’incitation à vendre une île.
L’entendaient-ils comme cela s’est dit ici en Grèce, ou peut-être s’agit-il de
quelque sorte d’humour noir Européen ? parce que dans mon village de
telles paroles ne semblent pas si plaisantes – on les entend plutôt comme une
offense.
Mais finalement nous aussi nous sommes Européens
au fond, pragmatiques, laissons de côté la question du savoir-vivre et
examinons le fond. Donc, d’accord, il y a des îles, pour paraphraser le
discours pré-électoral de Georges Papandreou. Comment la voulez-vous, donc,
votre île, avec des massifs montagneux et battue par les vents ou plate, pour
ne pas vous fatiguer ? Vous la voulez dans la mer Égée ou la mer Ionienne ?
Ou est-ce que vous la préférez en mer de Lybie, voisine de votre nouveau
protectorat récemment acquis ? Vous la voulez vide ou meublée ? Les
plages doivent-elles être de sable ou de galets ? Voulez-vous qu’elle soit
dans son état naturel, pour que vous l’arrangiez à votre goût, ou la
voulez-vous clé en main, avec des infrastructures et des installations,
aéroport, terrain de golf et ports de plaisance ? Les chapelles, vous les
voulez, ou est-ce qu’il faut les démolir avant de vous la livrer ? Et je
ne crois pas qu’après vous nous demandiez de garantir ses frontières avec la
Turquie !
J’ai laissé le principal pour la fin : vous
la voulez habitée notre (votre) île ? Et ses habitants, après la
transaction, ce seront des Grecs, vous leur donnerez votre nationalité ou ils
seront simplement des indigènes, avec une nationalité indéterminée et sans
droits politiques ? Vous mettrez un commissaire sur l’île, un gouverneur
ou un Gauleiter (*) ?
Et encore, étant donné que
l’île que vous prendrez est Grecque et habitée par des Grecs, que pensez-vous
faire avec les déficits que sans aucun doute elle produira ? Seulement ne
venez pas ensuite nous dire que vous avez fait une erreur de calcul, que vous
n’avez pas tiré le bon numéro et que l’économie internationale est en danger à
cause de cette île et de ses déficits. Souvenez-vous en, une fois l’accord
conclu, l’île, nous ne la reprendrons pas. Et il n’est pas question non plus,
en aucun cas, que nous cotisions à l’EFSF (**)
afin de préserver l’Euro, l’Europe et l’économie mondiale, qui seront alors en
danger par la chute d’un nouveau domino qui aura démarré à cause des déficits
de l’île."
(*)
Responsable administratif d’un Gau, subdivision territoriale de
l’Allemagne nazie. Il coordonnait les activités du parti nazi à l’échelon
régional et, en pratique, était le seul chef du Gau dont il avait la
responsabilité.
(**) European
Financial Stability Facility, Fond de Stabilité Financière Européen ou
« fond de secours »
L'auteur a un don pour l'humour noir et grinçant, n'est-ce pas ? Mais ne ferions-nous pas de même si c'était à nous que tout cela arrivait ?
Et pour élargir le sujet sur la Grèce et ne pas rester à ses seules îles, je mets dans les liens le blog de Panagiotis Grigoriou, l'auteur de l'excellent documentaire Khaos visible dans quelques bons cinémas français, à suivre absolument pour ceux que la situation en Grèce ne laisse pas indifférents. Ce blog mérite d'être lu régulièrement.
Et aussi pour ceux que la belle (bien que difficile) langue Grecque intéresse, voici le livre dont proviennent les traductions des messages de décembre.
Nous reviendrons à nos îles dans les prochains messages, n'abusons pas des bonnes choses...
Mais... je continue la lecture des "Anonymes en faillite" !
Γεια σας !
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