Un beau voyage dans le temps et dans sa tête
Il est des livres qui deviennent des classiques du voyage, tel "L'usage du Monde" de Nicolas Bouvier, et le livre de Jacques Lacarrière "L'été grec" fait partie de ceux-ci.
Déçue par un livre que je venais de lire au sujet du Mont Athos, j'ai empoigné celui de Jacques Lacarrière, je l'ai lu d'un trait, et je ne pouvais pas rester sans en parler. Il est LE livre qu'il faut avoir lu pour comprendre la Grèce, les Grecs, ce qui fait la beauté et la particularité de ce pays, de sa culture et de sa ou plutôt ses langues, sans en cacher les aspects moins idylliques que le tourisme de masse actuel ne voit pas, ou peu.
Je me suis "offert le luxe" de lire ce livre dans une vieille édition, datant de 1975, époque de sa parution.
Photos en noir et blanc illustrant certains récits, couverture représentant un aspect en voie de disparition de ce qu'était la Grèce (dont les îles), quelques dessins émaillant le texte par-ci par là... Que du bonheur dans les mains.
Je suis repartie par la pensée dans les deux décennies d'après la seconde guerre mondiale, époque pendant laquelle Jacques Lacarrière a effectué tous ses voyages en Grèce - le coup d'état des colonels, en 1967, mettra un terme à ses escapades annuelles en Grèce -, et dont il a fait le récit a posteriori dans le milieu des années 70.
Cela m'a rappelé ce que j'avais vu lors de mes premiers voyages dans les îles grecques il y a plus de 30 ans. Aie aie aie, ça ne me rajeunit pas, mais j'ai pu constater combien les choses avaient changé pendant tout ce temps écoulé. Les commandes que l'on allait passer directement à la cuisine dans les tavernes, car il n'y avait pas encore de menus (au moins on avait vu avant ce qu'on allait manger...), les bateaux hors d'âge qui desservaient les îles et dont on se demandaient comment ils arrivaient encore à flotter avec toute la rouille de leur coque, les passagers grecs entassés sur les ponts assis sur des tapis (qu'ils avaient apportés avec eux pour améliorer leurs conditions de voyage), toute la smala installée avec les valises, les sacs, les paniers de provisions, et qui caquetait bruyamment (à cette époque, pas si lointaine, les touristes n'étaient pas en majorité, on se fondait dans la masse...), les hébergements chez l'habitant pour trois fois rien, sur la terrasse pour les moins "fortunés", qui permettaient à qui avait envie de voyager sans gros moyens financiers de le faire quand même (pas de piscine individuelle ni de transat devant la chambre, évidemment...).
Une époque bien révolue, une page définitivement tournée, mais que j'ai retrouvée avec plaisir en lisant le récit par Jacques Lacarrière de ses multiples et longs séjours en Grèce, continentale ou dans les îles. Il voyageait avec très peu d'argent, parlait couramment le grec, et c'est ce qui donne toute sa force à son récit, près de tous les grecs qui ont forcément croisé son chemin. Lumineux, optimiste, humain, un mode de vie engagé, en conformité avec ses convictions. Un concept qui se perd en ces temps de consommation effrénée, boulimique, et aliénante pour l'individu.
Le livre a bien sûr un peu vieilli, certains modes de vie décrits ont disparu ou sont en voie d'extinction avec les derniers "Papous et Yaya" encore de ce monde, et la légendaire hospitalité s'effrite beaucoup en ces temps où tout est bon pour faire du "business". Il me semble que Jacques Lacarrière aurait beaucoup de mal à refaire ses voyages de la même manière à notre époque où dormir sur la plage et faire du camping sauvage est devenu interdit en Grèce.
"L'été grec" est plus qu'un récit de voyages, c'est aussi une analyse très poussée sur la Grèce, son évolution depuis l'antiquité, tout ce qui fait la spécificité de ce pays qui n'est plus tout à fait en Europe et pas encore en Asie, un pays dont l'histoire agitée est constituée de multiples invasions, génoise, ottomane, anglaise, française, ... oups, on parle plutôt de colonisation dans ce cas, n'est-ce pas ?, des grecs qui ont su résister et conserver leur culture et leur langue (quoique le grec actuel ait quand même intégré un certain nombre de mots turcs...). On apprend une multitude de choses en lisant ce livre.
"L'été grec" est plus qu'un récit de voyages, c'est aussi une analyse très poussée sur la Grèce, son évolution depuis l'antiquité, tout ce qui fait la spécificité de ce pays qui n'est plus tout à fait en Europe et pas encore en Asie, un pays dont l'histoire agitée est constituée de multiples invasions, génoise, ottomane, anglaise, française, ... oups, on parle plutôt de colonisation dans ce cas, n'est-ce pas ?, des grecs qui ont su résister et conserver leur culture et leur langue (quoique le grec actuel ait quand même intégré un certain nombre de mots turcs...). On apprend une multitude de choses en lisant ce livre.
J'ai pris aussi beaucoup de plaisir à lire un livre vraiment "écrit en français", dans une langue d'écrivain, pas en langage parlé écrit comme malheureusement beaucoup de la production actuelle (heureusement, il en reste qui résistent, encore et toujours...). Jacques Lacarrière a une vraie plume, et une érudition à faire pâlir nombre de plumitifs contemporains.
Avec tout ce qu'il raconte dans son livre, il m'a donné envie de me mettre à lire le théâtre antique !
Avec tout ce qu'il raconte dans son livre, il m'a donné envie de me mettre à lire le théâtre antique !
Je ne vais pas vous résumer le livre, mais vous parler de quelques points qui m'ont particulièrement plu, je ne veux pas transformer ce message de blog en "roman", juste vous donner l'envie d'aller y voir par vous-même.
La première partie "RACINES" s'ouvre avec cette citation d'André Breton : "Il ne faut pas confondre les livres qu'on lit en voyage et ceux qui font voyager", qui résume à elle seule tout le livre. Lui, il fait vraiment voyager, mais ce serait encore mieux de lire "L'été grec"... en voyage Grèce, dans l'ambiance.
L'auteur se livre (entre autres) à maintes réflexions sur la vie en Grèce, avec un refus d'idéaliser la situation ; la misère et les conditions de vie difficiles qu'il côtoie sont mises en parallèle avec le tourisme (déjà présent...) et nous invite nous aussi à ouvrir un peu les yeux. J'ai aimé plus particulièrement ce passage, dans la partie "LES ILES NUES", que je recopie en espérant faire résonner quelque chose chez vous, mes lecteur(trices)s, comme il l'a fait pour moi :
" Enfer ou paradis, enfer et paradis, cette blancheur soudain factice d'Anafi mais aussi de Folégandros, de Leros, de Cassos dont les noms évoquent, pour la mémoire grecque, des lieux d'exil, de déportation, de résidence forcée, voire de tortures. Depuis les temps les plus anciens, les îles ont servi de lieux d'exil. Six siècles avant Jésus-Christ, le philosophe Parménide mentionne déjà l'île de Yaros comme un lieu de déportation, cette île où les grecs hostiles au régime des colonels étaient encore déportés pendant l'été 1974 ! C'est là une histoire qu'on oublie ou même qu'on méconnait totalement : cette face obscure des îles blanches, ces rochers nus, ces plages désertes, cette mer étincelante qui ne sont nullement ici un lieu d'évasions romantiques mais, quelquefois, d'évasions tout court.On a du mal à accoler le mot enfer, le mot prison, à ces îles qui auraient pu abriter une vie si différente. Pour ma part, ce sentiment, renforcé par les engagements politiques pris au cours de ces années aux côtés des Grecs emprisonnés et déportés, contribua de façon décisive (...) à m'interdire de vivre innocemment au paradis des îles grecques."
Tout est dit dans ce passage, si joliment, si précisément, et si clairement !
D'ailleurs, cette année, nous avons pu constater que le "business as usual" était toujours à la manoeuvre. A Folegandros, les ruines d'un ancien village de déportés politiques pendant la dictature des colonels, avec pas mal de terrain autour, sont... à vendre !
(on ne le voit pas très bien, mais c'est la petite pancarte jaune sur la photo, qui indique que c'est "For sale" avec 11 000 m2 de terrain). Je verrai l'année prochaine si un acheteur s'est manifesté.
Quand on lit ce que Jacques Lacarrière écrivait sur Folégandros (une de mes îles préférées) : "A Folégandros où je suis resté quelques jours et où il n'y avait ni hôtel ni restaurant - tout juste un café - la famille qui m'hébergeait était si pauvre que le mari allait chaque jour à la mer pêcher le poisson du soir". Quand je vous dit que la page est définitivement tournée sur ce monde-là... Il ne reconnaitrait plus rien s'il y retournait maintenant, les hôtels haut de gamme, les restaurants sur toutes les places de Chora, les piscines dans une île qui a de gros problèmes d'approvisionnement en eau et où on est toujours proche de la mer, où qu'on se trouve, les quads et tous les engins à moteur sur les routes, les constructions à touristes qui poussent d'année en année et ne servent que 2 mois par an, au mieux ...
Alors, comme ce blog parle des îles, voici celles évoquées par Jacques Lacarrière dans son livre (j'en oublie, forcément) : La Crète, Anafi, Patmos, Sérifos, Sikinos, Folégandros, Alonissos, Xeronisi, Skantzoura, Youra, Cos, Ios, Amorgos, Psara, Chios, ...
Jacques Lacarrière est décédé en 2005. Une rapide recherche sur internet m'a conduit vers "Chemins faisant", le site des amis de Jacques Lacarrière. Ils continuent de tracer son chemin...
Γεια σας !
Quand on lit ce que Jacques Lacarrière écrivait sur Folégandros (une de mes îles préférées) : "A Folégandros où je suis resté quelques jours et où il n'y avait ni hôtel ni restaurant - tout juste un café - la famille qui m'hébergeait était si pauvre que le mari allait chaque jour à la mer pêcher le poisson du soir". Quand je vous dit que la page est définitivement tournée sur ce monde-là... Il ne reconnaitrait plus rien s'il y retournait maintenant, les hôtels haut de gamme, les restaurants sur toutes les places de Chora, les piscines dans une île qui a de gros problèmes d'approvisionnement en eau et où on est toujours proche de la mer, où qu'on se trouve, les quads et tous les engins à moteur sur les routes, les constructions à touristes qui poussent d'année en année et ne servent que 2 mois par an, au mieux ...
Alors, comme ce blog parle des îles, voici celles évoquées par Jacques Lacarrière dans son livre (j'en oublie, forcément) : La Crète, Anafi, Patmos, Sérifos, Sikinos, Folégandros, Alonissos, Xeronisi, Skantzoura, Youra, Cos, Ios, Amorgos, Psara, Chios, ...
Jacques Lacarrière est décédé en 2005. Une rapide recherche sur internet m'a conduit vers "Chemins faisant", le site des amis de Jacques Lacarrière. Ils continuent de tracer son chemin...
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